Editorial 91

Voulez-vous une bonne définition de la science-fiction ? Nous pouvons vous en donner plusieurs et même remettre en cause celles que nous viendrions de vous donner avec conviction. Et pourtant, lançons-nous ! la science-fiction, pour nous c’est cette forme de littérature qui est capable de vous déstabiliser, de vous amener à admettre la possibilité de l’impossible, la pensée de l’impensable. La science-fiction doit mettre mal à l’aise, doit prendre parfois le couvert de l’irrationalité pour annoncer ce qui est plus qu’improbable, incroyable et qui pourtant se produit parfois, provoquant une rupture. Les nouvelles finalistes du Prix le Bussy sont celles qui parlent de rupture, telle celle qui ouvre ce numéro et qui a remporté le prix en 2025…  

Mais la Science-Fiction ne se limite pas bien sûr à la science dure et à la  technique, elle est ouverte à toutes les sciences y compris les sciences humaines et en particulier l’histoire et nous aurons dans ce numéro l’occasion de revenir sur les uchronies, comme celles auxquelles nous allons consacrer le prochain hors-série.

Nous sommes dans un monde d’improbabilité et de discontinuité. L’homme qui occupe les fonctions de chef de l’État le plus puissant du monde est lui-même en rupture perpétuelle avec lui-même, en rupture avec la vérité, qui n’est d’ailleurs pour lui que ce dont il décide que c’est la vérité. 

La guerre dont nous pensions ne plus la revoir sur le sol européen est bien là en Ukraine et c’est une guerre de tranchées, comme il y a un siècle, c’est une guerre de souffrance humaine, de viol et de violence, avec les drones et les fibres optiques en plus. La science, dont nous pensions qu’elle résoudrait tous les problèmes, est remise en question, les chercheurs interdits de chercher et les écrivains, jetés en prison comme Boualem Salem, magnifique auteur de 2084, alors, la science-fiction, qu'est-ce que c'est,au juste ?

La science-fiction, et plus largement les genres de l’imaginaire, pour une revue comme la nôtre, ce sont avant tout des autrices et auteurs, que nous mettons régulièrement à l’honneur dans le cadre de nos dossiers, qu’ils soient anciens (Olaf Stapledon dans notre dernière livraison) ou actuels (Christophe Siébert dans la prochaine) ou dont nous publions les textes, comme ici les nouvelles de Pierre Stolze et de XXXX… . Mais ce serait faire fausse route de ne voir que cette seule réalité, la plus éclairée.

Car si la science-fiction vit et survit, c’est d’abord grâce à l’investissement de myriades d’acteurs : éditeurs, directeurs de collection, traducteurs, organisateurs de festivals et autres événements, anthologistes, scénaristes de films ou de séries, créateurs de bandes-dessinées, animateurs de fanzines… ou de revues, dont nous évoquons au fil des parutions les productions dans la partie « articles » de notre sommaire ! Richard D. Nolane, que nous mettons à l’honneur dans ce numéro, est de ceux-là.

Figure importante du fandom, il a porté plusieurs casquettes, puisqu’on lui doit, outre des nouvelles et romans, des recueils et autres anthologies, des essais sur des sujets relevant de l’étrange, des séries de BD à succès (à commencer par Wunderwaffen), sans oublier la direction de la revue Wendigo et la publication de fascicules qui fleurent bon le vintage. L’interview qu’il a donné à Didier Reboussin, concepteur du dossier, s’avère donc tout à fait passionnante, et vous apprécierez tout autant les articles d’analyse et les fictions inédites proposés autour de son œuvre foisonnante.

La personnalité de Richard D. Nolane est d’autant plus importante qu’elle incarne une vision populaire de l’imaginaire : car Galaxies, loin de tout snobisme ou élitisme, reste fidèle à une définition large de la SF ou du fantastique, embrassant tous les canaux de diffusion qu’ils empruntent au cœur des sociétés, à une époque où ces « mauvais » genres s’insinuent justement partout et irriguent la création de manière croissante. L’univers en expansion, c’est aussi celui-là !

Alors, bonne lecture à vous !

 Pierre Gévart et Jean-Guillaume Lanuque,

le 28 avril 2025